35.
Cet après-midi-là, sur les blanches plages de sable fin de Copacabana et d’Ipanema, le thermomètre grimpa à plus de trente-cinq degrés. À l’occasion de la finale de la Coupe du monde de football, la journée avait été déclarée fériée et un calme relatif régnait sur Rio. Riches et pauvres s’accordaient un peu de repos, préférant économiser leurs forces en prévision du rendez-vous sportif le plus populaire du monde.
Puis soudain, à la tombée du soir, la ville se transforma en jungle moite et grouillante. Chacun de ses habitants semblait être descendu dans la rue pour assister et participer à l’événement national, le plus grand des matches de futebal.
Les larges avenues de Rio prirent des allures de carnaval, dans une atmosphère bruyante, électrique. Bra-sil ! Bra-sil ! scandaient les avertisseurs. Le long de l’Avenida Brasil et de Castello Branco, des étudiants surexcités s’enveloppaient dans le drapeau national. Des fanions bariolés ornaient tous les bus et taxis et, au milieu de la chaussée, des femmes aux chemisiers trempés de sueur improvisaient des pas de danse, faisant tournoyer leurs jupes.
Vers 19 heures, la foule avait convergé vers le légendaire stade Maracana surveillé par d’importantes forces de l’ordre, ce qui n’avait pas empêché des centaines de personnes démunies de billets de pénétrer dans l’enceinte pour tenter d’apercevoir quelque chose.
À l’intérieur, cent mille Cariocas déchaînés brandissaient bannières et pancartes promettant la victoire sur le terrain et la révolution sociale, s’époumonaient au rythme de dix mille tambours de samba et deux fois autant de radiocassettes.
Dans ce vacarme assourdissant, au pied d’un muret, Will et ses coéquipiers guettaient l’instant où il leur faudrait entrer en scène.
Will tendait l’oreille. Et, malgré les coups de boutoir de son cœur pareil à un animal en cage, il entendit les haut-parleurs annoncer : « Numéro nueve… de America… Will… Shepherd ! »
Du public jaillirent quelques huées, on cria « palhaço », c’est-à-dire « clown », mais même à Rio, Will Shepherd eut droit à des applaudissements. Pour certains, l’amour de l’art l’emportait sur le chauvinisme et Will était indubitablement un artiste. On vit un quatuor de jeunes gens faire irruption sur la pelouse, le torse peint du chiffre 9.
Will s’avança au pas de course sous les encouragements de ses admirateurs, le poing levé au-dessus de ses mèches blondes flottant dans la brise, la tête pleine de bruits et d’images, de rêves et de fantasmes. Le souffle lui manquait presque.
Il sentit un frisson d’excitation lui zébrer le corps.
Ce soir, personne ne parviendrait à l’arrêter.
Il allait offrir à la moitié de la planète une prestation historique. Au lendemain de cette nuit brésilienne à nulle autre pareille, personne ne pourrait l’oublier.